Salut ! Ellie Goulding a sortit tellement de tubes que je ne les compte plus. "Lights", "Burn", "Love Me Like You Do" (bande originale du torride Cinquantes nuances de Grey), le tout récent "Something In The Way You Move" qui donne envie de sauter partout... Aujourd'hui je vous propose d'écouter et d'analyser très brièvement "Army", une chanson où elle rend hommage à une amie chère, avec laquelle elle se sent invincible ("when I'm with you / I'm standing with an army").
Voici le clip officiel :
Que ressentez-vous en écoutant ces paroles, cette mélodie, ce refrain ? Pas grand-chose, peut-être, ou au contraire beaucoup d'émotions ; si tel est le cas, sauriez-vous les décrire ? Plutôt de la tristesse, de la mélancolie, ou de la joie, de la gaieté... Me concernant, c'est un peu entre les deux. Cette chanson-hommage est comme une déclaration d'amour, chargée d'affection et de tendresse, peut-être d'un brin de mélancolie qui rappelle les épreuves traversées par les deux amies, en même temps qu'une puissante joie de vivre, presque inébranlable. Quand on a la chance d'avoir près de soi une personne aussi proche, comment résister à l'envie de lui dire, de lui chanter combien on l'aime ?
De mots c'est bien gentil, mais voyons ce que donne la mélodie.
Prêtons un instant l'oreille à ce si joli refrain. Si on en extrait la structure mélodique, on obtient les degrés suivants :
When (V) I'm (V) with (V) You (VII), When (V) I'm (V) with (V) You (VII),
I'm (V) stan (I) ding (VII) with (V) an (IV) a (V) a (IV) a (III) a (II) rmy (I) (bis)
Certains degrés s'imposent, tandis que d'autres sont plus discrets, presque comme des notes de passage. On retient surtout le V et le VII dans la première partie ("when I'm with you" répété deux fois), tandis que la seconde partie fait une descente de tonique à tonique basse (I) en passant par la septième (VII), la quinte encore une fois (V), et rapidement la quarte, la tierce, et la seconde.
Voilà qui est tout bonnement fascinant, comme à chaque fois qu'on dissèque une mélodie pour comprendre comment elle est faite, comment elle vit.
Le degré V est aussi appelé "dominante", en raison de sa propension à créer un effet d'attente, une tension qui appelle la résolution par le degré I. Un des plus célèbre exemples se trouve dans notre hymne national : "Allons (V) en (V) fants (I) de (I) la (II) pa (II) tri (V) i (III) ie (I)". La Marseillaise commence sur une dominante basse, qu'elle résous immédiatement sur la tonique au-dessus, avant de monter sur la seconde, puis de nouveau la quinte (le "i" de "patrie), sur laquelle elle s'attarde un moment, avant de redescendre sur la tierce puis finalement la tonique.
Exemple de dominante basse et de tonique : sol et do.
De son côté, Ellie commence pareil : le degré cinq marque les premières paroles de son refrain ("when I'm with"), et l'on s'attends presque à entendre la tonique supérieure venir célébrer glorieusement le "you", comme l'apogée de l'hommage qu'elle rend à son amie. Sauf que ce "you" se positionne sur la septième, la fameuse "sensible".
Exemple de sensible sur la gamme de ré : do#, située juste un demi-ton en dessous de ré (le degré VIII et équivalent au I, c'est la tonique)
La sensible... Proche, si proche de sa sœur aînée la tonique, la grande patronne qui détermine le rôle de toutes les autres notes. Et qui pourtant ne serait rien sans ses consœurs, et surtout sa fausse jumelle la sensible, qui la mets si bien en valeur, qui donne tellement envie de l'entendre à nouveau. Est-ce une manière de décrire la relation entre les deux femmes, la dynamique de leur amitié quasi fusionnelle ?
La mélodie semble s'arrêter dans le temps sur cette note qui prends une place immense dans le refrain, et qui souligne combien la chanteuse se sent proche de son amie. Ce "you" renvoie à celle qui l'a accompagnée dans les meilleurs moments et dans les pires épreuves.
Jouez la tonique encore et encore, et cela ne signifie plus rien ; on a besoin des autres notes, de mouvements et d'effets de tensions/apaisements pour apprécier les retours sur la tonique. Cette longue sensible tenue, que l'on entends sur trois pulsations et deux mesures à la suite, créé un magnifique effet de suspension. Quand enfin vient la résolution par la tonique supérieure ("Stan (I) ding"), ce n'est même pas pour mettre en lumière le "je" de la chanteuse, mais pour souligner avec force le "standing", le fait de se tenir debout, droit, puissant, qui décrit l'impression d'invulnérabilité que ressent la chanteuse lorsqu'elle se trouve en compagnie de son amie.
Ellie s'est d'ailleurs placée en-dessous, au niveau de la dominante ("I'm" (V) et "when (V) I'm" ), sur une durée très courte en comparaison. Charmante manière de se mettre en retrait pour laisser toute l'attention sur le "you". Et puis, Ellie jouant le rôle de "dominante", artiste accomplie, femme de scène et de show-business, tandis que sa partenaire est personnifiée sur la sensible, note fragile, féminine, entièrement tendue vers la tonique comme si elle n'avait d'autre but que de la rejoindre enfin... Belle métaphore, vous ne trouvez pas ? D'ailleurs, la musique réalise l'impossible rencontre entre sensible et tonique vers la fin (autour de 3 minutes sur la vidéo) : le "you" est joué à la fois sur septième et tonique, et là miracle, elles se confondent, s'alternent se complètent, sans qu'on entende de fausse note. Chapeau le studio.
Ce n'est qu'un petit exemple d'écoute attentive et d'interprétation personnelle. Exercez-vous aussi à décortiquer et analyser les mélodies qui vous touchent, et à donner le sens qui vous plaît aux notes, et vous trouverez bien vite que la musique est une poésie renversante dont la grammaire obéit elle aussi à des lois, qu'on peut appliquer, transgresser, renverser... Pour une description plus académique des degrés et de leurs relations, je vous conseille l'excellent portail de l'harmonie sur Wikipédia. A vous de jouer.
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